Revue de presse 05/12/2010
Revue de presse 01/12/2010
Revue de presse 29/11/2010
Killing Quote #7
La société humaine est pleine de contradictions qui ne seront jamais résolues. Ainsi la Révolution s’est toujours faite avec les pauvres, bien que les pauvres en aient rarement tiré grand profit. La contre-révolution se fera toujours contre eux, parce qu’ils sont malcontents, et parfois même désespérés. Or le désespoir est contagieux. La Société s’accommode assez bien de ses pauvres, aussi longtemps qu’elle peut absorber les malcontents soit dans les hôpitaux, soit dans les prisons. Lorsque la proportion de malcontents s’augmente dangereusement, elle appelle ses gendarmes et ouvre en plein ses cimetières.
George BERNANOS, Les grands cimetières sous la lune
Killing quote #6
« Au détour d’un sentier une charogne infâme », a dit Baudelaire. Voilà ce qu’on a fait des plus belles choses d’autrefois. Il est préférable de fermer les yeux et de se boucher les narines. Les assassins n’aiment pas la confrontation et cette charogne apparaît dans tous leurs miroirs. Cependant une voix mystérieuse leur dit que le passé demeure toujours, qu’il reviendra, quand même, à la Fin, qu’il reviendra sur eux, quoi qu’ils fassent, non pas sous cet aspect de déréliction et d’ignominie affreuses que le poète suppose, mais avec sa vraie figure infiniment auguste, et grave, et implacable, accompagnée de la conscience miraculeusement ressuscitée des uns et des autres.
Léon BLOY, Exégèse des lieux communs
Killing quote #5
The home of the brave #2
« L’idée de travailler m’était aussi étrangère que l’idée de cambrioler le serait à un plombier ou un imprimeur installé depuis dix ans. Je savais qu’il existait des moyens plus sûrs et plus simples de gagner sa vie mais c’était ce que faisaient les autres, ces gens que je ne connaissais ni ne comprenais et pour lesquels je n’avais pas la moindre curiosité. (…) Ils représentaient la société. La société, cela voulait dire la loi, l’ordre, la discipline, le châtiment. La société était une machine complexe conçue pour me réduire en miettes. La société, c’était l’ennemi. »
Jack Black livre ici le passionnant récit d’une vie passée parmi les hobos, les cambrioleurs et casseurs de coffres-forts à travers les États-Unis à une époque fondamentale de leur développement : la Frontière a été repoussée jusqu’à l’océan Pacifique, la guerre de Sécession a permis de mettre la main sur le potentiel économique des États confédérés, les lignes de chemins de fer unifient l’immense territoire en répandant le capital à ses confins. Mais ce processus produit également son double négatif, la criminalité, qui se développe au rythme du capital. Puisque c’est grâce au rail que le capitalisme se propage, c’est également par les trains que voyagent les bandits et les marginaux, cachés dans les wagons de marchandises ou sur les essieux. Et ce sera dans un compartiment de train que le cambrioleur dépouillera un millionnaire endormi. (« En un coup d’oeil, je compris que j’étais là en présence du pouvoir, de la richesse, de l’aisance. Je n’avais pas avec moi l’équivalent de ce que cet homme-là dépenserait pour son petit-déjeuner. »)
À cette époque primitive du capitalisme répond une forme primitive de criminalité, faiblement organisée, dont les membres ont de l’honneur et se voient comme les continuateurs des mythes et des valeurs de l’Ouest sauvage. (« Je dis qu’ils avaient de la trempe parce que, même si ce qu’ils faisaient était mal, ils essayaient de le faire d’une façon juste et au bon moment. ») Non seulement le livre s’ouvre par l’évocation de la fin de Jesse James (1882), mais cet évènement est même le déclencheur de la vocation du narrateur.
Cette confrérie des yeggs se vit parfois comme une contre-société (les « conventions », rassemblements de vagabonds, aux rites définis), mais n’est pas animée par un projet politique commun et si le vol vise à nier la propriété, c’est une réaction instinctive au développement d’un modèle écoeurant. Les pages consacrées à la description de la société américaine du tournant du siècle sont éloquentes. « Les conducteurs de train livraient les pigeons aux braqueurs ; les flics repéraient les bons coups pour les voleurs et faisaient le guet pour eux ; les pickpockets payaient aux flics un forfait journalier en échange de l’exclusivité sur un coin de rue ; le jeu n’était pas contrôlé, on pouvait truquer les matchs de boxe. » Les pionniers sont transformés en salariés, leur idéal d’une vie libre au contact de la nature est relégué au rang de souvenir. À mesure que se répand le capitalisme, la corruption s’installe et, avec elle, l’oppression. Ainsi de ce juge, qui après avoir écouté patiemment le vagabond, s’excuse d’avoir à confirmer la sentence imposée par les barons du rail après l’attaque d’un de leurs trains. Ainsi des filles du bordel : « Ces femmes fatiguées étaient des prisonnières plus désespérées encore que les hommes qui se battaient sauvagement pour manger dans la prison de la ville. Le confort matériel dont elles jouissaient ne servait qu’à resserrer leurs chaînes. »
La dynamite utilisée pour briser les coffres fait écho à celle utilisée par les syndicats radicaux pour les sabotages. Et la description des sévices endurés en prison (camisole de force, flagellation…) souligne la répression policière et judiciaire qui s’accroît à mesure que le système gagne en puissance contre ceux qui veulent jouir malgré tout. Le livre se clôt à lée de la guerre qui va voir la défaite pour un très long moment des forces révolutionnaires aux États-Unis. Cette défaite laisse la place au désenchantement et à une lutte qui n’a plus comme objectif que la répartition des parts de marché entre syndicats, gangsters et politiciens. You Can’t Win, proclame le titre original. Alors que la perspective révolutionnaire s’éloigne, il n’y a effectivement pas de moyen de gagner, honnête ou non. À l’instar du narrateur, rallié au système à force de coups, les yeggs sont relégués au musée du folklore américain au profit du crime organisé qui s’apprête à déferler sur le pays et bientôt sur le monde. Il faudra un demi-siècle pour que leur esprit revive sous la plume des écrivains de la Beat generation - Burroughs en tête, qui leur rend dans sa préface un hommage nostalgique.